La question centrale du pouvoir d’achat

La question centrale du pouvoir d’achat
La question centrale du pouvoir d’achat
Le retour de la hausse des prix constaté ces derniers mois (+2,8 % en rythme annuel en décembre, par exemple) relance le débat sur la préservation du pouvoir d’achat. Le gouvernement répond par des mesures ponctuelles (chèque inflation, chèque énergie, remboursement kilométrique) à la poussée récente des prix du carburant et de l’énergie. Mais, en réalité, les Françaises et les Français font face à un problème de revenu d’une nature plus structurelle.
Si l’on s’intéresse à l’évolution du revenu en tenant compte de l’inflation, du nombre de personnes par foyer et hors dépenses contraintes (nourriture, logement, abonnement Internet, etc.), soit le pouvoir d’achat du revenu arbitrable par unité de consommation, sur la période 2010-2020, le constat est frappant : + 1,5 % en 10 ans, soit + 0,15 % moyenne par an.
Cette situation est due à une panne de la progression des revenus. De même que la hausse de la taxe carbone a été un révélateur du mal vivre d’une partie de la population française, l’inflation récente reflète une perte structurelle du pouvoir d’achat des ménages auquel le gouvernement n’a répondu – jusqu‘à présent – qu’en distribuant quelques subsides et en espérant une modération de la hausse des prix. Mais tout indique que cela n’est pas à la hauteur du problème structurel de la panne du pouvoir d’achat des revenus des ménages.
Afin de répondre à cette panne, la première idée qui vient naturellement à l’esprit consiste à réclamer des hausses de salaire. Mais il faut rappeler que, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres grands pays industrialisés, la hausse des salaires a tendance à être supérieure, dans notre pays, à celle des gains de productivité.
Toutefois, sur la période 2010-2019, la rémunération des PDG du SBF120 a progressé de 32 %. Non seulement aucun salarié n’a connu une telle augmentation, mais la productivité d’un patron d’une grande entreprise n‘a pas pu s’accroitre de près d’un tiers en 10 ans ! Les salaires de certains ainsi vont beaucoup plus vite que la productivité, comme chez certains dirigeants.
La connaissance dont on dispose sur les inégalités salariales au sein des entreprises est malheureusement très faible même si l’INSEE en fournit quelques signes : par exemple, en 2019, le salaire mensuel net moyen en équivalent temps plein (2 400 euros) était de 26 % plus élevé que le salaire médian (1 900 euros), celui pour lequel la moitié des personnes gagne moins et l’autre moitié gagne plus, ce qui signifie qu’une partie de salariés, les plus privilégiés, tire la moyenne vers le haut ; par ailleurs, 40 % des salariés touchent un salaire variable en France. Cela correspond à 10 % des revenus pour les mieux payés et 2 % seulement pour les moins bien payés. Quand la situation se détériore, le salaire variable est bien sûr impacté, mais dès que l’économie va mieux, les mieux payés en profitent davantage.
S’il y a donc bien un problème des salaires en France, c’est celui des inégalités entre salariés. Constater la stabilité du partage de la valeur ajouté en général, comme on le fait trop souvent, masque le fait que tout le monde n’est pas dans la même situation.
Cet enjeu est d’autant plus d’actualité que la santé des entreprises le permettrait si l’on en juge par leur taux de marge : en 2021, celui-ci s’établit à 34,5 %, le plus haut niveau historique depuis 1950 ! Le gouvernement a été particulièrement généreux dans son soutien aux entreprises au moment de la pandémie, et il convient de s’en féliciter. Mais cela représente, en réalité, un élément supplémentaire en faveur de la hausse tendancielle du taux de marge constatée depuis 2013.
Toute la question est alors de savoir ce que les entreprises font de cette bonne fortune : entre 2013 et 2017, elles ont donné relativement plus de place à l’investissement par rapport aux dividendes ; par contre, depuis 2017, elles ont changé de comportement, de sorte qu’en 2020 l’ensemble des entreprises françaises ont distribué une fois et demie plus de dividendes nets qu’elles n’ont réalisé d’investissements nets. Par comparaison, au début des années 1980, les dividendes ne correspondaient qu’à la moitié des dépenses d’investissement.
Le CAC40 est le symbole de ces dérives avec 69,4 milliards d’euros versés aux actionnaires en 2021 un niveau qui dépasse largement celui des années passées et semble aller bien au-delà d’un simple rattrapage de 2020 (avec 36 milliards distribués en pleine pandémie). A l’image d’autres pays de l’OCDE, nous souffrons donc d’un déficit d’investissements, lié à la priorité de court terme donnée aux actionnaires sur l’avenir de moyen et long termes des entreprises.
Observons au demeurant que, sur la période 2016‑2019, la France a amélioré sa performance à l’exportation vis‑à‑vis de l’Allemagne, de l’Italie, et dans une moindre mesure vis‑à‑vis de l’Espagne, au bénéfice d’un rétablissement de la compétitivité prix et coût. Le problème de la France réside désormais dans la compétitivité hors coût (notamment la qualité). Le cœur de notre problème en la matière n’est donc pas le coût du travail.
Le gouvernement dispose de deux instruments pour susciter une hausse des salaires :
• d’un côté, le point d’indice dans la fonction publique, gelé depuis douze ans alors que la demande de services publics de qualité s’est encore accrue durant la pandémie ;
• de l’autre, la possibilité d’un coup de pouce au Smic. Celui-ci suit déjà un peu la hausse des prix mais le gouvernement refuse tout coup de pouce supplémentaire. Si 12 % des salariés sont au Smic, la situation est très différente selon les secteurs : les plus gros bataillons sont dans l’hôtellerie-restauration avec 36 % de personnes au salaire minimum ; un accord vient d’être signé dans la branche avec une hausse de 5 % au niveau du Smic, de 16 % des salaires en moyenne et les négociations viennent de démarrer sur les conditions de travail (heures supplémentaires, weekend, etc.).
Au total, cette question est trop sérieuse pour être traitée à coup d’incantations et de formules à l’emporte-pièce. Elle doit être abordée en républicain en tenant compte du caractère ambivalent du salaire, à la fois élément des coûts des entreprises et composante majeure de la demande et de la montée récente des inégalités dans notre pays. Peut-on espérer que les candidats à la présidentielle se saisissent avec rigueur de ce sujet ? Il n’est que temps !
Yves URIETA
Président de Convergence républicaine
Ancien maire de Pau
Membre honoraire du Conseil économique, social et
environnemental
Yves Urieta

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