Un tournant dans le quinquennat ?

Un tournant dans le quinquennat ?

 Un tournant dans le quinquennat ?

Au-delà de la gestion de court terme de la crise sanitaire, il convient de relever ces propos du Président de la République lors de son allocution du 12 mars dernier : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour […] Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. » On peut, d’ores et déjà, repérer quelques pistes possibles du nouveau modèle économique esquissé par le Emmanuel MACRON :

  • D’abord, le retour de l’Etat-providence qui passe en priorité (c’est de circonstance) par le système de santé. « Le gouvernement mobilisera tous les moyens ; nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies, quoi qu’il en coûte », a déclaré le Président de la République. L’Etat mettra l’argent qu’il faut pour que notre système de santé puisse répondre à la crise, mais Emmanuel MACRON est allé jusqu’à ajouter : « Beaucoup des décisions que nous sommes en train de prendre, beaucoup des changements auxquels nous sommes en train de procéder, nous les garderons ».Pas d’annonce chiffrée, précise, le moment est à la gestion de court terme de la crise. Le chef de l’Etat pourrait se servir de la crise pour se libérer des contraintes budgétaires que son gouvernement s’était auto-infligées pour limiter sa réponse à la crise de l’hôpital public. Une digue a-t-elle sauté ? Car le discours a encore franchi une étape : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux. »Plus que le retour de l’Etat, c’est même la remise en cause de la marchandisation du monde qui est pointée du doigt : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. » Si les mots ont un sens, Emmanuel MACRON explique ainsi, après d’autres longtemps vilipendés, que la santé, l’alimentation et donc l’agriculture, la protection contre toute forme de risque, ne peuvent être laissées au marché.On ne peut qu’être surpris par ces perspectives, tant la première partie du quinquennat a été marquée par une croyance dans les vertus innées du marché et le bradage de l’Etat-providence. Les pistes ouvertes jeudi vont clairement à contresens de ce credo, et c’est tant mieux ;
  • Ensuite, une économie plus fermée est sans doute à construire : le premier enseignement économique de la crise sanitaire a, en effet, porté sur la mondialisation. Elle a fait apparaître au grand jour notre dépendance aux chaînes de valeur ajoutée mondiale. Le ministre de l’Economie a déjà indiqué qu’il fallait que « nous tirions (…) toutes les conséquences de cette épidémie sur l’organisation de la mondialisation et notamment sur les chaînes de valeur [pour réduire] notre dépendance vis-à-vis d’un certain nombre de grandes puissances ».Le chef de l’Etat a précisé que « nous aurons sans doute des mesures de contrôle, des fermetures de frontières à prendre, mais il faudra les prendre quand elles seront pertinentes et il faudra les prendre en Européens, à l’échelle européenne ». C’est reconnaître la nécessité de fermer les frontières européennes aux pays dont les ressortissants seront largement victimes du virus.
  • Emmanuel Macron a aussi parlé de notre modèle économique, exprimant un besoin de « reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main ». Comme si une dose de protectionnisme à l’échelle européenne se profilait ;
  • Les contraintes budgétaires peuvent enfin être relâchées. Le gouvernement s’était, il est vrai, déjà affranchi des contraintes budgétaires européennes ces dernières semaines puisque, hors CICE, le déficit public français se situait à 2,2 % du PIB en 2019 et il est programmé au même niveau pour 2020.
  • Il semble désormais que le Président de la République souhaite même aller au-delà. « L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l’activité puis de relance quoi qu’il en coûte. La France le fera », a-t-il ainsi déclaré. Quand la crise sanitaire sera passée, il faudra aider les économies à repartir et les dépenses publiques devront appuyer ce mouvement. Si les pays européens n’arrivent pas à se mettre d’accord, la France le fera de son côté, à l’image de l’Italie. Le déficit et la dette publique française vont repartir à la hausse et ce n’est plus considéré comme un problème.

Le discours du 12 mars a-t-il lancé une autre phase du quinquennat, celle d’une économie réduisant son insertion dans la mondialisation, gérant de manière plus posée son rapport à la dette publique et prête à donner toute sa place à l’Etat-providence ? Cela représenterait une véritable « rupture » pour reprendre les mots du Président de la République.

L’avenir dira la portée réelle de ces promesses. Mais en esquissant les bases d’un nouveau modèle économique français sans que la nécessité le lui imposait, il a posé les bases du jugement que l’on sera en droit de porter sur sa gestion de la crise et de ses suites.

C’est-là un équilibre qui demande à se traduire en actes dont tout républicain devrait se réjouir

Yves URIETA

Président de Convergence Républicaine

Ancien maire de Pau

Membre honoraire du Conseil économique, social et environnemental

Yves Urieta

0 Avis

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*