
Le Front national est l’expression d’un courant d’opinion qui n’a, au fond, jamais admis la Révolution française ni l’avènement de la République et dont les racines philosophiques, intellectuelles et politiques sont proprement réactionnaires. C’est un courant politique qui a toujours existé dans notre pays depuis 1789. La République s’est justement construite contre cette vision réactionnaire de la société qui rencontre à nouveau un certain écho dans l’opinion. Si tout le monde baisse les bras, notre « bien commun » est clairement en danger : il y a, en effet, une course à l’abîme face à laquelle un sursaut collectif est on ne peut plus nécessaire. On est, de fait, en train de dérouler le tapis rouge au Front national. De sorte que ce qui paraissait impossible devient chaque jour un peu plus vraisemblable s’agissant de la présidentielle de 2017. Une perspective encore renforcée depuis les évènements tragiques du 13 novembre.
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Dans les années 1930, les ennemis de la République étaient clairement identifiés. Aujourd’hui, tout le monde s’affirme républicain sans davantage préciser ce que cela implique. Mais la République, on le sait bien, c’est d’abord une éthique. On ne peut donc qualifier de républicain un parti dont les ressorts politiques sont la désignation de boucs émissaires, la tentation populiste et la dénonciation de la classe politique dans sa globalité, le thème du “tous pourris !”. Ces ressorts, qui sont au fondement du Front national, sont clairement aux antipodes de l’éthique républicaine. Il est précisément inquiétant de constater la profonde division sur le rapport au Front national des partis de gouvernement, des écologistes, du parti socialiste ou de la droite républicaine. Cela rappelle la période de l’entre-deux-guerres, ce moment où les partis n’ont pas su s’entendre et ont ouvert la voie aux ennemis de la démocratie. Il importe, au contraire, de prendre conscience, en ce qui concerne les élections à venir, que le désistement républicain est le minimum souhaitable : il faut, à l’évidence, éviter des triangulaires au second tour des élections régionales, en acceptant de sacrifier ses couleurs dans l’intérêt général. La République, ce n’est rien d’autre que la capacité des citoyens à se rassembler dans une culture du compromis et de la décision raisonnable, c’est tout le contraire du populisme.
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Cela est d’autant plus nécessaire que nos concitoyens font face à une situation de désespoir qui fait le lit du malheur : l’ouverture des économies, l’obsolescence des États, la déconstruction des politiques publiques et un chômage de masse devenu structurel se conjuguent pour créer ce climat délétère. Les hommes politiques qui se sont succédé depuis quarante ans ont, malgré eux, préparé la bombe à retardement que nous affrontons désormais. Le sentiment d’impuissance des dirigeants, de droite comme de gauche, engendre un boulevard dans lequel s’engouffrent les extrêmes des deux camps alors que l’urgence est de retisser le lien social, de réapprendre aux gens à se parler en se respectant mutuellement.
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La question des réfugiés est, à cet égard, emblématique : notre pays s’est construit à travers des flux migratoires. Ce qui fait précisément la République, c’est la capacité à intégrer des populations nouvelles. Quand des milliers de gens en détresse frappent à nos portes, il faut un minimum d’organisation pour les accueillir et faire en sorte que, dans quelques années, ils ne fassent plus parler d’eux, parce qu’ils auront appris à parler français, que leurs enfants seront scolarisés, qu’ils auront trouvé un emploi, un logement… Si la France ne peut pas accueillir tous les réfugiés du monde, les chiffres dont on parle aujourd’hui n’ont rien d’insurmontables quand on se souvient des rapatriés d’Algérie ou des Espagnols fuyant le franquisme. La France a besoin d’un New deal, elle attend une nouvelle espérance pour se ressaisir, repartir de l’avant et croire à nouveau en l’avenir. Sortir de l’Europe, dresser des murs aux frontières, chasser les étrangers, ce n’est évidemment pas un avenir. L’avenir de la France, ce n’est pas de transformer le pays en prison ou en forteresse, y compris pour faire face au terrorisme : l’état de droit doit demeurer notre horizon indépassable.
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Dans ce contexte, le risque existe de mettre la laïcité au service du dialogue interconfessionnel. Or la laïcité, ce n’est pas l’œcuménisme, bien au contraire. C’est une organisation de la République dans laquelle on sépare ce qui relève de la sphère publique, de l’intérêt général, de ce qui relève de la sphère privée, des religions, des puissances dogmatiques. C’est une société dans laquelle les citoyens se rassemblent pour décider des lois qu’ils veulent se donner, sans aucune onction divine. La laïcité a une dimension éminemment émancipatrice : elle permet aux individus de conquérir leur liberté. On oublie qu’elle a été un combat et qu’elle le reste dans les sociétés développées comme partout ailleurs.
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Le devoir des républicains de progrès, c’est d’aller parler de la République aux gens, avec le langage de tous les jours, en essayant d’écouter, en affirmant la grandeur de nos convictions et en les explicitant. Le travail n’est donc pas achevé sur le plan idéologique. Le défi sera d’autant plus aisé à relever que la République en marche se traduira par des avancées tangibles en termes de qualité de la vie et de réduction des inégalités. La clé réside dans la fidélité aux valeurs universelles de la République et à l’esprit d’émancipation des Lumières.
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Yves Urieta
Président de Convergence Républicaine
Ancien membre du Conseil économique, social et environnemental
Ancien maire de Pau
1 Avis
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Excellent article cher Yves qui incite à la résistance face à la poussée extrémiste. Les politiques devraient puiser dans ta détermination les ferments d’un renouveau de l’esprit républicain et d’affirmation de ses valeurs.